Vue d’ensemble
Cour d’appel de Pau, 1er mars 2000
Cour de cassation, Chambre criminelle, 10 juin 1980
Jurisprudences sur la délégation de pouvoir
La défaillance dans l’organisation générale de la prévention et l’absence de mesures particulières adaptées ont été considérées comme les causes d’un accident du travail engageant la responsabilité de l’employeur.
Le manquement de l’employeur ou du chef d’établissement à l’obligation d’organisation qui relève de ses attributions, a été jugé fautif et a entraîné l’engagement de sa responsabilité pénale :
Le défaut d’organisation résulte souvent du fait que le chef d’établissement soit, a négligé de déléguer ses pouvoirs à une personne qui aurait été, sur place, en mesure de faire respecter la réglementation relative à l’hygiène et à la sécurité, soit, a délégué à une personne qui par sa fonction de conseil ou d’animation (coordonnateur de chantier, ACMO, ingénieur ou technicien de prévention), n’avait pas qualité pour recevoir une délégation de pouvoirs en matière d’hygiène et de sécurité.
Cas d’un accident mortel d’un travailleur livré à lui-même lors d’une opération dangereuse :
Pour faciliter une opération de vidage d’un silo de maïs, un ouvrier a décidé de pratiquer une ouverture au bas du silo à l’aide d’une tronçonneuse. Le grain s’est alors écoulé avec force et l’a enseveli provoquant son décès.
Le PDG de la société a par la suite été condamné pour homicide involontaire n’ayant pas rempli son obligation de sécurité et d’encadrement impliquant « une organisation générale des conditions de travail, un contrôle et une surveillance ayant pour objet de garantir aux salariés un cadre de référence de leur activité devant permettre d’anticiper la faisabilité et la dangerosité des opérations qu’ils mènent »
« … la victime jouissait d’une indépendance et d’une autonomie totale dans l’accomplissement de son travail sans que lui soit donné d’instructions ni fait part de restrictions en vue de canaliser ses initiatives »
« Que cette part d’initiative totale laissée à la victime, au vu de sa qualification professionnelle de magasinier, démontre une absence d’organisation générale des conditions de travail et un défaut de surveillance… (manquement qui) a eu pour conséquence de permettre à la victime la réalisation d’une opération dangereuse et irréfléchie qui allait entraîner son décès. »
La complexité des fonctions exercées par un chef d’établissement, à la fois techniques et administratives, ne sauraient l’empêcher d’organiser, en détail, la sécurité du travail dans le secteur d’activité dont il avait la responsabilité.
Mis en cause à la suite d’un accident, le chef d’établissement en question invoquait à sa décharge, l’impossibilité matérielle d’assurer personnellement l’organisation de la prévention dans les multiples secteurs d’activité de son établissement.
Loin de l’exonérer, un tel argument permet au juge de conclure à une carence totale dans l’organisation de la sécurité des travailleurs et de retenir contre lui le fait de ne pas avoir donné de consignes précises, de ne pas avoir organisé le contrôle et de ne pas avoir fourni le matériel et les équipements nécessaires au chantier sur lequel les infractions ont été relevées.
Il appartient au maire d’une commune de veiller au respect de la réglementation dans les locaux qui sont la propriété communale, que les locaux soit professionnels ou ouverts au public, et de maintenir ceux-ci dans un état tel que la sécurité y soit toujours assurée. A défaut de pouvoir lui-même exécuter cette obligation, il lui incombe d’organiser les services municipaux de telle sorte qu’elle soit dévolue à un membre du conseil municipal ou à un membre du personnel communal compétent pour l’assurer.
Il appartenait au maire de la commune de s’assurer qu’un dispositif garantissant définitivement la sécurité soit installé ; en laissant sciemment se perpétuer un mode de vérification manifestement insuffisant pour assurer la protection des utilisateurs de douches, il a commis une faute de négligence.
Si le maire n’était pas en mesure, en raison de la multiplicité de ses tâches, de veiller lui-même au bon fonctionnement de tous les équipements de la commune, en particulier de l’installation du chauffage des douches, il lui appartenait d’organiser les services communaux en conséquence et de charger une personne suffisamment qualifiée d’assurer ce contrôle à sa place ;
en s’en abstenant, il a également commis une faute de négligence ; la fermeture intempestive de la trappe par des ouvriers, à l’origine de l’insuffisance d’aération, révèle un défaut d’encadrement du personnel communal et une mauvaise organisation du service ; cette faute de négligence a, elle aussi, même indirectement, concouru au décès des victimes,
D’où la condamnation du maire pour homicide involontaire par défaut de délégation et défaut d’organisation,
Cass. Crim., n° 92-85.536, 14 janvier 1993.
« … qu’eu égard à sa formation et à sa position hiérarchique, (il) avait la qualification nécessaire pour recevoir une telle mission ; qu’il lui appartenait, au-delà même des questions spécifiques de formation, de s’assurer personnellement ou de mettre en œuvre des dispositifs permettant de s’assurer du respect sur les chantiers des règles d’hygiène et de sécurité ; … qu’il appartenait à (ce dernier), responsable, de rappeler par des notes, des contrôles ou des réunions spécifiques, la nécessité de s’astreindre au respect de l’ensemble des règles d’hygiène et de sécurité, même dans le cas d’opérations courantes … »
Cass. Crim. 22 fév. 1995.
Exerçant les fonctions de directeur de production à l’époque des faits, position hiérarchique importante dans la société E., Z... a été investi des moyens et de l’autorité nécessaire pour faire respecter la réglementation, la délégation lui conférant, compte tenu de son niveau de responsabilité et de compétence, les pouvoirs les plus larges afin de faire contrôler l’exécution des consignes par la totalité des salariés en prenant si besoin des sanctions disciplinaires ; de plus, il a expressément été autorisé à déléguer ses pouvoirs à ses cadres et agents de maîtrise, selon leur compétence, leur niveau de responsabilité et leurs moyens d’intervention.
Or le prévenu, tout en se reconnaissant dans l’impossibilité de contrôler les deux mille personnes placées sous son autorité n’a cependant mis en œuvre aucune subdélégation formelle ou effective de manière à assurer l’organisation efficace de la sécurité alors que les structures complexes et étoffées de son entreprise lui commandaient de consentir une délégation de pouvoirs à un ou plusieurs de ses collaborateurs, dans des conditions conformes aux exigences de la prévention des risques professionnels du personnel, à partir du moment où il n’était plus en mesure de veiller lui-même au respect des consignes de sécurité.
Ainsi la faute personnelle de Jean Z..., réside dans l’insuffisance de l’organisation matérielle ou administrative de ses services en matière d’hygiène et de sécurité,
Cass. crim., n° 94-82.577, 28 février 1995.
Eu égard aux dispositions des articles 221-6 et 121-3 du Code pénal dans leur rédaction issue de la loi du 10 juillet 2000 applicable en la cause, est coupable d’homicide involontaire un chef d’équipe disposant des compétences professionnelles nécessaires pour l’exercice d’une délégation de pouvoirs en matière d’hygiène et de sécurité, qui a ordonné à son subordonné, en l’absence de dispositif de sécurité collectif, de monter sur une toiture comportant des éléments de faible résistance et qui n’a pas pris les diligences normales permettant d’éviter une chute mortelle.
Cour d’appel de Rennes N° de RG 02/00893 30 janvier 2003.
Claude X..., salarié de la société Ingénierie Concept Réalisations (ICR), société qui assumait la maîtrise d’ouvrage déléguée d’une opération de construction de logements, a été poursuivi en tant que coordonnateur de chantier devant le Tribunal correctionnel, pour avoir laissé Annie A..., employée par l’entreprise de nettoyage Nera Propreté, utiliser un ascenseur non conforme lors de travaux préalables à la réception des appartements, et involontairement causé à celle-ci des blessures entraînant une incapacité de travail supérieure à trois mois ;
Le Tribunal correctionnel et la Cour d’appel ont jugé Claude X... coupable notamment de l’infraction à la réglementation relative à l’hygiène et à la sécurité des appareils élévateurs ; l’arrêt de la Cour d’appel relève que le prévenu n’est pas fondé à invoquer un défaut de délégation de pouvoirs en matière de sécurité et qu’il ne peut prétendre ignorer la non-conformité de l’ascenseur, ayant pris part aux réunions de chantier et étant chargé de constater la levée des réserves des parties privatives et communes de l’immeuble.
Mais pour la Cour de cassation, c’est le chef d’entreprise ou l’employeur qui est tenu d’assurer le respect des règles d’hygiène et de sécurité et qui ne peut s’exonérer de sa responsabilité en cas d’infraction, qu’en démontrant qu’il a délégué ses pouvoirs à un préposé désigné par lui et doté de la compétence, de l’autorité ainsi que des moyens nécessaires pour veiller efficacement à l’observation des dispositions en vigueur ; qu’en retenant en l’espèce l’existence d’une telle délégation consentie à Claude X. aux seuls motifs qu’en sa qualité de coordonateur de travaux il était chargé de la levée des réserves formulées lors des réunions de chantier et qu’il avait donné les consignes de nettoyage, … la Cour n’a pas établi que Claude X... ait été investi de la mission d’assurer le respect des règles de sécurité sur le chantier de la résidence « les papillons » pas plus qu’il n’ait été doté de l’autorité et des moyens nécessaires ni qu’il ait eu la compétence adéquate,
D’où la cassation de l’arrêt qui avait condamné à tort le coordonnateur de chantier,
Cour de Cassation, Chambre criminelle 8 avril 2008 n° 07-80535.